Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la légalité des textes fixant les conditions de constitution et de fonctionnement des sociétés pluri-professionnelles d’exercice. A cette occasion, il a apporté d’utiles précisions sur l’application de ces textes.
1. Les conditions de constitution et de fonctionnement des sociétés ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs professions du droit et du chiffre (sociétés pluri-professionnelles d’exercice ou SPE) sont fixées, on le rappelle, par l’ordonnance du 31 mars 2016, qui a complété en conséquence la loi du 31 décembre 1990 sur les sociétés d’exercice libéral (SEL), et par une série de décrets du 5 mai 2017, dont le décret 2017-794 fixant les règles générales applicables aux SPE (BRDA 9/16 inf. 22 et 11/17 inf. 25).
Saisi d’un recours sur la légalité de l’ordonnance et du décret 2017-794 par plusieurs instances professionnelles, le Conseil d’Etat a écarté les principales critiques dirigées contre ces textes et validé l’essentiel de la réglementation par deux décisions du 17 juin 2019. Nous en présentons ci-après les apports les plus importants.
Forme et siège de la société
2. Aux termes de la loi du 31 décembre 1990 dans sa rédaction issue de l’ordonnance, la SPE peut revêtir toute forme sociale, à l’exception de celles conférant à leurs associés la qualité de commerçant (art. 31-4). Or, la loi habilitant le Gouvernement à prendre l’ordonnance (Loi Macron du 6-8-2015 : BRDA 15-16/15 inf. 15 no 17) fixait une condition relative à la composition du conseil d’administration ou de surveillance de la SPE.
Il n’en résulte pas, estime le Conseil d’Etat, que les SPE ne pourraient être constituées que sous une forme disposant d’un tel organe, si bien que le Gouvernement n’a pas méconnu la loi d’habilitation en permettant aux SPE de revêtir toute forme sociale (CE 17-6-2019 no 400192 point 11).
3. Le Conseil d’Etat valide également l’article 4 du décret 2017-794 autorisant les statuts à fixer librement le siège social. Ce texte ne méconnaît pas l’article 2 du décret du 13 janvier 1993 selon lequel le siège d’une SEL de notaires est celui de l’office ou de l’un des offices. Pour le Conseil, en effet, aucun principe ni aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit au pouvoir réglementaire de fixer, pour les SPE, une règle différente de celle qui est prévue pour les sociétés exerçant la seule profession de notaire (CE 17-6-2019 no 412149 point 14).
La solution vaut aussi, pensons-nous, pour une SPE exerçant la profession d’avocat, qui n’est pas soumise à l’article 3 du décret 93-492 du 25 mars 1993 subordonnant la constitution d’une SEL d’avocats à la condition de son inscription au barreau du tribunal dans le ressort duquel est situé son siège. En effet, le siège d’une SPE d’avocats peut être situé dans le ressort d’un autre barreau que celui au tableau duquel elle est inscrite (cf. Décret 91-1197 du 27-11-1991 art. 235, al. 3).
Détention du capital et des droits de vote
4. L’article 31-6 de la loi de 1990 issu de l’ordonnance énumère les personnes autorisées à entrer au capital de la SPE (notamment, personnes physiques exerçant, au sein ou en dehors de la société, l’une des professions exercées par celle-ci : BRDA 9/16 inf. 22 no 8), sans fixer pour aucune de ces personnes de condition de détention minimale du capital.
Cette disposition est validée : le Gouvernement n’avait pas à fixer une règle de détention minimale du capital par les professionnels en exercice dès lors que la loi d’habilitation ne l’imposait pas (Décision no 400192 point 25).
5. L’ordonnance n’a pas repris, pour les SPE par actions, l’interdiction faite aux SEL d’attribuer des actions à droit de vote double aux actionnaires autres que les professionnels en exercice au sein de la société.
Le Conseil d’Etat juge cette absence de reprise conforme car la loi d’habilitation n’impose pas de rendre applicable une telle interdiction aux SPE, qui ne sont pas soumises aux mêmes règles de composition du capital que celles prévues pour les SEL. En outre, une telle attribution n’est pas de nature à porter atteinte aux principes déontologiques applicables à chaque profession ou à l’intégrité des missions des professionnels liées au statut d’officier public et ministériel (Décision précitée point 13).
Exercice de l’activité
6. Le Conseil d’Etat rectifie l’erreur matérielle contenue à l’article 31-4 de la loi de 1990 issue de l’ordonnance (Décision no 400192 point 14) ; ce texte rend par erreur applicable aux SPE l’alinéa 3 de l’article 1er de la loi (les SPE « sont régies par les dispositions du titre IV bis » de cette loi) alors que le Gouvernement avait entendu viser l’alinéa 4 de cet article, qui précise que ces sociétés « ne peuvent accomplir les actes d’une profession déterminée que par l’intermédiaire d’un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession ».
Cette rectification a fait l’objet d’une publication au Journal officiel (JO 22-6-2019 texte no 84).
7. La SPE peut exercer à titre accessoire toute activité commerciale dont la loi ou le décret n’interdit pas l’exercice à l’une au moins des professions qui constituent son objet (Loi de 1990 art. 31-5).
Il résulte de cette disposition que la société ne peut exercer à titre accessoire aucune activité commerciale dès lors qu’une telle activitéest interdite aux membres de l’une des professions constituant son objet et alors même que cette activité serait autorisée pour les autres professions comprises dans cet objet. Le Conseil d’Etat écarte donc l’argument selon lequel le Gouvernement aurait méconnu la loi d’habilitation en permettant à l’avocat au Conseil d’être associé à une activité commerciale alors qu’une telle activité serait interdite aux membres de cette profession (Décision no 400192 point 21).
Déontologie et gestion des conflits d’intérêts
8. Les statuts de la SPE doivent comporter des dispositions propres à garantir l’indépendance de l’exercice professionnel des associés et des salariés et le respect des dispositions réglementaires encadrant l’exercice de chacune des professions qui constituent son objet, notamment celles relatives à la déontologie (Loi de 1990 art. 31-8).
Le Conseil d’Etat valide cette disposition : la loi d’habilitation, qui prescrit au Gouvernement de prendre en considération les risques de conflits d’intérêts propres à chaque profession et de préserver les principes déontologiques applicables à chacune d’elles, ne lui impose pas de prévoir des règles déontologiques spécifiques à l’exercice de différentes professions par la même société ni de créer une autorité interprofessionnelle (Décision no 400192 point 30).
Il résulte de l’article 31-8, ajoute le Conseil, que chaque professionnel de la SPE doit respecter les dispositions réglementaires encadrant l’exercice de sa profession, notamment celles relatives à la déontologie, à la prévention et à la gestion des conflits d’intérêts (point 31).
9. Il est vrai, reconnaît le Conseil d’Etat, que le texte ne comporte pas de définition du conflit d’intérêts. Aussi l’existence d’un tel conflit doit-elle être appréciée par chaque professionnel au regard des conditions d’exercice et des exigences déontologiques propres à sa profession. Le Conseil écarte donc l’argument selon lequel la conception du conflit d’intérêts retenue par l’ordonnance, qui serait fondée sur la défense de l’intérêt d’un client identifié, méconnaîtrait la liberté d’entreprendre et les exigences de respect de la déontologie (Décision précitée point 34).
Secret professionnel
10. Le Conseil d’Etat valide les articles 31-10 de la loi de 1990 issu de l’ordonnance et 25 du décret 2017-794 sur le respect du secret professionnel. Aux termes de l’article 31-10, les obligations de confidentialité ou de secret professionnel ne font pas obstacle à ce qu’un professionnel communique à d’autres professionnels toute information nécessaire à l’accomplissement des actes et à l’organisation du travail au sein de la société dans l’intérêt du client et à condition que ce dernier, préalablement informé de cette faculté de communication, y ait donné son accord. L’article 25 précise les modalités de cet accord (BRDA 11/17 inf. 25 no 15).
Pour le Conseil d’Etat, l’article 31-10, dont l’article 25 du décret se borne à tirer les conséquences, n’autorise les professionnels concernés à partager des informations à caractère secret que dans la stricte mesure nécessaire à l’accomplissement de leurs missions respectives au service de leur client commun (Décisions no 400192 point 41 et no 412149 point 25).
11. Par ailleurs, la communication d’informations entre les différents professionnels de la SPE est subordonnée à un accord exprès du client. Un tel accord doit être précédé d’une information par les professionnels concernés sur sa portée et définir l’étendue du partage d’informations envisagé. Cet accord doit être préalable au partage d’informations. Le Conseil en conclut que la dérogation au secret professionnel est ainsi assortie des limitations et précautions de nature à éviter une atteinte excessive au droit au respect du secret professionnel garanti par la Déclaration des droits de l’Homme et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (Décision no 400192 point 41).
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